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Exemples de prises de risque issus des livres d'Histoire

Dernière mise à jour : 6 avr.

En quittant la banque pour lancer une start-up FinTech, je savais que la prise de risque entrepreneuriale était différente de celle du trading sur les marchés.


Parce qu'on investit nos meilleures années de carrière, le coût d'opportunité est élevé. Parce que statistiquement on met notre mariage en danger. Enfin parce qu'en plus d'y investir une grosse partie de mes bonus, je me portais caution personnelle d'un emprunt au nom de l'entreprise.


J'ai donc cherché des cas d'école de la prise et me suis penché sur des aventuriers qui mettait leur vie en hypothèque pour un idéal ou des richesses : les conquistadores.


Et bien évidemment, en tant que trader invétéré, j'en ai tiré des leçon de ... trading et pour l'investissement.


"Mieux vaut réfléchir avant d'agir que de regretter après avoir agi". Démocrite (460 avant JC).


Démocrite, l'un des philosophes les plus proches de la préhistoire, nous met en garde sur un comportement humain. C'est probablement le signe que le problème est viscéral. Et par conséquent, qu'il est compliqué de s'en débarrasser.


Que faire quand Tesla vaut 1000 ans de bénéfices annuels ?


Tesla traitait entre 2019 et 2021 à des niveaux de prix qu'aucun taux de croissance des ventes ou des profits ne pouvait rendre raisonnable avec l'état de connaissances du moment.


Pourtant, dans le contexte de cette période, Tesla pouvait tout autant continuer d'évoluer à la hausse et doubler de valeur, que de baisser de 90%.


Tesla, dans un contexte d'hyperinflation des actifs financiers liée à la politique monétaire expansionniste, pouvait évoluer sans aucune force de rappel vers un ratio habituel entre le prix par rapport et les bénéfices réalisés.


A fin novembre 2021, le P/E ratio de Tesla est de 370 (les bénéfices ayant augmenté entre temps), en d'autres termes, le prix correspond à 370 années de profits. 25 années de profits en plus ou en moins apparaissait comme insignifiant pour Tesla pendant cette période.


Pourtant, 25 de P/E ratio est déjà un niveau qui correspond à une entreprise déjà fortement valorisée.


Dans ces conditions, à quoi peut bien servir une présentation rationnelle des faits ?


L'incertitude ne permet pas ici d'agir à partir d'éléments factuels au sein d'une réflexion logique. Le prix de Tesla est déterminé en fonction de réactions épidermiques, dans un sens ou dans l'autre, telle une foule hypnotisée ou enivrée.


Pour agir dans ces conditions, il faut développer un "gut feeling", une intuition.


En économie, on appelle cela des probabilités "subjectives".


Dans la vie de tous les jours, c'est l'idée de croyances. Une croyance n'est pas ce que l'on pense de manière objective et logique mais ce que l'on croit être vrai en sachant que cela pourrait ne pas l'être.

On peut réussir parce que l'on n'a pas été rationnel

Les conquêtes des conquistadores peuvent s'apparenter à des investissements à la Peter Lynch : les "tenbaggers" .


Un tenbagger [6] est un investissement qui retourne dix fois sa mise. La différence est que le "downside" du trade n'est pas une baisse (ou la faillite de l'entreprise) ... mais la mort.


En revanche, l'"upside" serait similaire aux réussites d'aujourd'hui. En effet, certains calculs évaluent l'or de Pizarro, le vainqueur des Incas du Pérou, à l'équivalent de 250 millions de dollars actuels.



Henri le Navigateur investit comme le ferait un État moderne dans la recherche en mathématiques, en astronomie et en cartographie.


Au XVe siècle [7], après la prise de Constantinople par les Ottomans, les banquiers italiens redirigent leurs opérations d'investissements en direction de l'Atlantique, dans le but de maintenir leurs positions dans le commerce des épices. Ils financent les explorateurs de Lisbonne et de Séville.


Mais dans les premières décennies, les navigateurs portugais sont confrontés aux risques réels du changement du régime des vents autour du Cap Bojador, mais aussi à la peur superstitieuse des monstres marins en cet endroit.


Pour continuer à agir face à l'incertitude de cette navigation, Henri le Navigateur investit comme le ferait un État moderne dans la recherche en mathématiques, en astronomie et en cartographie.


En économie comportementale, nous appelons cela la réduction de l'ambiguïté, la zone à la frontière de l'incertitude, par la révélation des probabilités objectives grâce à la connaissance.


En offrant cette connaissance aux navigateurs des caravelles Henri le Navigateur a permis aux explorateurs de franchir le Cap Bojador et de descendre les côtes de l'Afrique jusqu'au Cap de bonne Espérance, entre 1420 et 1498 [8], alors que les navigateurs de la Rome antique n'y étaient jamais parvenus en 700 ans de tentatives.


Mais en y regardant de plus près [9], les efforts en R&D d'Henri le Navigateur n'ont pas été les seuls à avoir un rôle déterminant.


En parallèle du mythe de la réussite des grandes explorations par la science, la vie des espions portugais comme Covilhã, João Gomes ou da Cunha laisse entendre que la croyance dans l'existence du mythique Royaume du Prêtre Jean a bien plus participé à donner les certitudes nécessaires à la prise de risque des expéditions.


Chaque fois que les navigateurs doutaient et hésitaient à agir sur la côte Ouest de l'Afrique, la croyance dans l'existence du Royaume du Prêtre Jean (l'Éthiopie) à l'Est, leur permettait de ne pas rester pétrifiés dans l'immobilisme et de poursuivre le contournement de l'Afrique.


Le partage d'une croyance commune, d'une croyance inter-subjective (partagée par un groupe), a permis pendant 70 ans à plusieurs générations d'explorateurs d'entamer avec espoir toujours le même voyage, pourtant potentiellement mortel.

On peut réussir parce que l'on n'a pas été rationnel

Isabelle la Catholique a financé l'expédition de Colomb parce qu'elle souhaitait préparer l'apocalypse.


En plein milieu de l'océan, il est devenu évident à tous, Christophe Colomb y compris, que les calculs sur lesquels étaient basés leur expédition étaient faux [10].


Christophe Colomb a décidé d'avancer malgré tout en se basant sur sa croyance eschatologique.


Les Himalayas étaient, dans cette croyance partagée à l'époque le lieu du paradis terrestre, le lieu où se serait échoué l'arche de Noé après le déluge.


Isabelle la Catholique a financé l'expédition de Colomb parce qu'elle souhaitait préparer l'apocalypse qui devait intervenir après la fin de la Reconquista sur les musulmans et l'expulsion des juifs d'Espagne.


Colomb s'était persuadé [11] qu'il était divinement missionné pour découvrir la route des Himalayas par la mer "Océane" et sauver la chrétienté de l'apocalypse imminent.


Pour décider de poursuivre sa route malgré l'absence de signe rassurant en milieu de parcours, Christophe Colomb se pare d'une croyance mélangeant le subjectif "pur" (il est celui qui doit découvrir la route au nom de Dieu) et l'inter-subjectif (l'existence du Paradis terrestre accessible par la mer Océane).

On peut réussir parce que l'on croit n'importe quoi

Cortès développe la croyance subjective qu'il a un destin au Méxique.


Hernán Cortès [12] est un autre exemple emblématique qui va nous permettre de faire un parallèle direct avec les marchés financiers.


Lorsqu'il arrive à Vera Cruz, sur la côte du Méxique, une partie de son équipage veut repartir à Cuba. L'équipage rappelle à Cortès que le gouverneur de Cuba, Diego Velázquez, lui a formellement interdit d'entreprendre la conquête du Méxique.


Pour Cortès, le "downside" est donc l'emprisonnement, qu'il a déjà connu, ou la mort, du fait de son insubordination manifeste en partant sur les côtes mexicaines du Yucatán contre les indications explicites du gouverneur de Cuba.


De l'autre côté, sa compagne, la Malinche, valide l'existence d'un "upside" en confirmant la rumeur d'une quantité fabuleuse d'or à Mexico.


Cortès décide donc de saborder ses navires pour empêcher quiconque de rentrer à Cuba et forcer tout le monde à avancer vers Mexico. L'immobilisme le condamnait.


L'action ne lui assurait pas a priori de se sauver. Pourtant, son cerveau lui permet de croire qu'il va réussir. Et c'est là que l'étude du système de croyance qui se met en place est intéressant.


Cortès développe la croyance subjective qu'il a un destin au Méxique et une mort certaine à Cuba. Puis, il s'appuie, selon les conseils de La Malinche qui était Maya, sur les croyances inter-subjectives des Aztèques de Mexico de l'arrivée prochaine sur terre de Quetzalcoatl, le dieu serpent à plumes.


Confiant dans sa ruse, il avance avec ses troupes et réussit la conquête du Mexique. Et pourtant, quelle que soit l'intelligence de Cortès, il est légitime de se demander comment 500 soldats, même les mieux armés, pouvaient conquérir un État de 20 millions d'habitants.


La réponse, vous la connaissez déjà sûrement : les microbes et les bactéries introduits malgré eux par les espagnols et leurs hardes de cochons.


La vérole, notamment, expliquent l'essentiel de la réussite de cette conquête.

On peut réussir pour des raisons rationnelles qui n'ont rien à voir avec nos croyances de départ

Hernando de Soto est mort lors de sa tentative de conquête du Mississippi, après avoir réussi au Nicaragua et au Pérou.