Théorie économique et décision dans l'incertitude
Dernière mise à jour : 6 avr.
En 1670, soit 60 ans seulement après l'apparition de la toute première entreprise cotée en bourse de l'humanité, Spinoza qui avant d'être philosophe était un trader de matières premières (épices), expliquait :
"Si les hommes étaient capables de gouverner toute la conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours favorable, leur âme serait libre de toute superstition. Mais comme ils sont souvent placés dans un si fâcheux état qu'ils ne peuvent prendre aucune résolution raisonnable, comme ils flottent presque toujours misérablement entre l'espérance et la crainte, pour des biens incertains qu'ils ne savent pas désirer avec mesure, leur esprit s'ouvre alors à la plus extrême crédulité; il chancelle dans l'incertitude ; la moindre impulsion le jette en mille sens divers, et les agitations de l'espérance et de la crainte ajoutent encore à son inconstance."
Spinoza, exposé au trading à Amsterdam, a réussi à résumer toutes les problématiques liées à la présence d'incertitude sur les marchés.
L'investissement demande une prise de distance émotionnelle lors des prises de décisions.
Le cerveau accède facilement à la logique pour régler un problème d'ingénierie classique. Lorsque l'environnement de travail est incertain, l'accès à la rationalité connait des obstacles.
L'un des pièges habituels est de laisser notre réflexion s'ankyloser dans des croyances figées, construites sur des biais cognitifs ou des informations erronées.
Si vous ne savez pas pourquoi vous gagnez aujourd'hui, vous ne saurez pas demain quand et comment sécuriser vos gains.
Notre cerveau est capable d'être logique et la démarche scientifique [1] précise comment faire. Nous sommes tous armés contre les intrusions mentales. Nous pouvons nous entrainer pour être rationnel dans nos décisions d'investissement, quelles que soient les circonstances.
Les subtilités de la notion d'incertitude.
Nous utilisons les notions de rationalité, risque, incertitude tous les jours sans y prêter attention. Nous n'avons pas toujours conscience qu'elles impliquent la présence de biais cognitifs et d'illusions.
Certains économistes ont montré la difficulté pour notre cerveau à être rationnel en particulier dans des situations qui paraissent différentes mais qui sont en fait similaires ou dans notre incapacité à réaliser des calculs de probabilité simples.
Notre application est un outil qui vous permet d'éviter ces biais.
Il est parfois possible de lever l’incertitude de certains évènements ambigus par la réflexion ou le calcul.
L'économiste Knight [15] a expliqué la distinction entre les évènements risqués (pour lesquels on connait une loi de probabilité) et les évènements incertains (pour lesquels rien n’est connu).
Lorsque rien n'est connu (univers incertain) mais qu'il est possible de connaître des éléments via de la recherche, des calculs ou par l'approximation née de croyances, nous avons à faire à ce que les économistes appellent l'ambiguïté.
L’ambiguïté couvre à la fois les évènements incertains (ceux pour lesquels il n'existe pas de lois de probabilités) et ceux dont la connaissance des lois de probabilités demandent une réflexion et qui sont, par conséquent, incertains à première vue.
Encore une fois, il est possible de lever l’incertitude de certains évènements ambigus par la réflexion ou le calcul.
Nous nous retrouvons après cela dans un univers risqué au sens de Knight, c'est à dire aléatoire mais en connaissant la loi de probabilité.
Avant même d’aborder l’incertain, en étudiant uniquement le comportement dans un univers "risqué" au sens de Knight, le cerveau humain n'est pas toujours capable d'effectuer correctement les calculs de probabilités de tête.
Cela veut dire qu'il n'est pas toujours possible de prendre des décisions rationnelles sans puissance de calcul, y compris lorsque les distributions de probabilité sont connues.
Le paradoxe de Monty Hall [16] est un exemple souvent évoqué pour démontrer la difficulté à mener correctement des calculs de probabilités de tête, dont le résultat n'est pas intuitif.
Le paradoxe de Monty Hall fait référence à un jeu télévisé américain avec un système de trois portes :
une chèvre derrière deux des trois
et une voiture derrière la dernière porte.
Le joueur désigne sans l'ouvrir une première porte. L'animateur ouvre une des deux portes non désignées, une derrière laquelle se cache une chèvre. C'est alors que le présentateur vous demande si vous maintenez votre choix de porte désignée ou si vous désirez la changer ... ?
De plus, il n'est pas toujours possible de mettre une probabilité sur chaque évènement pour définir une distribution de probabilité.
Voire, il n'est pas possible de lister, ou même d'imaginer, l'ensemble des évènements possibles.
Enfin, il est à noter que l'incertitude exacerbe les émotions et les émotions influent sur les croyances qui influent à la fois sur les probabilités subjectives mais aussi sur la tolérance à la baisse ou sur l'appréciation des gains.
Notre application permet de faire des comparaisons historiques que notre cerveau ne pourrait pas faire seul. Cela permet de prendre une distance émotionnelle avec les évènements.
La nature sociale des marchés financiers rajoute un degré de complexité en plus de l'incertitude.
Sur les marchés financiers, les croyances et les anticipations des acteurs ont un impact sur le prix des actifs financiers. On parle parfois de système chaotique de second ordre.
Il y a deux classifications du chaos :
Chaos du premier ordre : qui ne dépend pas des anticipations. L'exemple donné par Harari dans Sapiens est la météo. Si on ajoute de plus en plus d'éléments, nous améliorons la prédiction, sans que la météo s'ajuste à la prédiction.
Chaos du second ordre : est infiniment moins prévisible car y compris lorsque l'on suppose que la prévision est parfaite, l'objet étudié se modifie du fait de cette prévision, ce qui rend finalement la prévision erronée. Dans le cas de la science politique, Harari prend le cas de l'Egypte pendant la révolte du printemps arabe. Si Moubarak avait possédé une boule de cristal, il aurait distribué des richesses à la partie de la population qui s'apprêtait à se révolter et aurait renforcé sa police de manière à apaiser les tensions. Cela aurait probablement permis d'éviter la révolte, rendant la prédiction (pourtant exacte) fausse. Sur les marchés financiers, une prévision parfaite du cours du baril de pétrole entraine la modification immédiate du prix du baril. En conséquence, le prix redevient totalement incertain.
Prophéties auto-réalisatrices : en économie, on parle aussi de prophéties auto-réalisatrices, une forme de chaos de second ordre. C'est le cas notamment de l'inflation. Supposons que le niveau général des prix est stable. Imaginons maintenant qu'un leader d'opinion crédible et bénéficiant d'une audience importante mette en garde contre le retour de l'inflation. Cela peut déclencher des renégociations salariales et entrainer l'augmentation des prix en anticipation.
C'est pourquoi, il est possible de réduire la difficulté en cherchant uniquement des probabilités de hausse ou de baisse, et non pas la totalité de la distribution de probabilité.
Cela ne permet pas de déterminer l'espérance de performance d'un titre mais cela permet de décider si l'on souhaite acheter ou vendre un titre : si la probabilité de hausse, quel que soit le niveau de cette hausse, est suffisamment élevée, alors nous pouvons décider d'acheter.
En effet, toute l’information disponible peut être prise en compte par le marché sans que le prix soit pour autant égal à l’espérance de la performance en prenant en compte le coût du financement.
Certains acteurs peuvent être rémunérés pour la réduction de l'ambiguïté des marchés.
Par leurs recherches et leurs calculs, certains acteurs de marché peuvent découvrir des distributions de probabilité, et profiter par la même occasion d'opportunités d’arbitrage.
Le paradoxe de la préférence pour la certitude est intensément exploité par l'industrie financière.
Allais [25], prix Nobel d'économie 1988, a présenté un paradoxe (le paradoxe d'Allais) qui montre l'existence d’une aversion aux évènements extrêmes (pertes importantes avec une très faible probabilité) et une préférence pour la sécurité en cas de certitude.
Ce paradoxe est intensément exploité par l'industrie financière.
Par exemple :
en parlant de placement ou d'épargne plutôt que d'investissement
ou en proposant des produits structurés à capital garanti.
La monétisation la plus importante de ce paradoxe est l'existence du fonds euro de l'assurance-vie.
Dans le cas du fonds euro de l'assurance-vie, les assureurs assument la diversification des risques en échange d'une rémunération fixe pour l'épargnant, inférieure aux gains réalisés par l'assureur.
L'existence de la pyramide des priorités du cerveau permet d'expliquer le paradoxe d'Allais.
Les efforts cognitifs nécessaires pour réduire l'ambiguïté ou pour rester rationnel face à l'incertitude expliquent pourquoi les investisseurs préfèrent parfois une rémunération inférieure mais certaine à une espérance de gain supérieure mais avec un aléas.
La paresse cognitive face à l'incertitude détruit la performance
Les probabilités personnelles (subjectives) sont souvent incohérentes dans le temps.
En introduisant la notion d’ambiguïté (incertitude qu'il est possible de réduire), l'économiste Ellsberg a fait entrer les sciences cognitives dans le champ de la théorie économique.
Selon le "paradoxe d’Ellsberg" [27], les décisions prises à partir de probabilités subjectives ne sont pas cohérentes entre elles.
Ellsberg montre donc qu’il est difficile d’utiliser les probabilités subjectives pour décider avec rationalité dans le temps.
S'il est impossible de définir les scénarios qui vont se réaliser, il est en revanche possible d'éliminer un certain nombre de croyances, qui, comme l'a identifié Ellsberg, ne sont pas cohérentes dans la durée.
Il est possible de vérifier la logique des systèmes de croyances que nous élaborons dans le temps face à l'incertitude et l'ambiguïté, de manière à éliminer ceux qui ne sont pas cohérents entre eux.